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Aires de recherche | Inde

Projet de recherche

Projet de recherche Projet de recherche | Raphaël Rousseleau - 10 mai 2011

Pour les membres des « Tribus répertoriées » (Scheduled Tribes) de l’Inde, la revendication de droits autochtones dépend éminemment de l’accès à l’éducation supérieure, ou à des réseaux sociaux militants dépassant le cadre de l’Etat régional, voire fédéral. Cette possibilité est attachée à la capacité à comprendre et à s’exprimer dans plusieurs langues dominantes (Hindi et Anglais au minimum). La Constitution indienne protège les langues et cultures minoritaires, et prévoit même l’éducation primaire en langue maternelle pour les enfants ‘tribaux’ dans les États où leur proportion est forte (voir VI). Ces mesures centrales, fédérales, sont cependant peu mises en application dans les Etats régionaux, où d’autres langues vernaculaires dominent. De même, dans sa Constitution et d’autres lois plus récentes (voire IV), le gouvernement central a accordé davantage d’autonomie théorique aux Tribus que les réalisations locales ne le montrent. Dans le cadre de SOGIP, je propose d’étudier trois domaines de revendications d’autonomie de ces groupes, qui s’inspirent ou mobilisent des déclarations internationales en les pliant aux cadres locaux :

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Jivya Soma Mashe, acrylique et bouse de vache sur toile, 1999 / Thane District, Maharastra, Inde, Photo/Collection : Hervé Perdriolle
http://jivya-soma-mashe.blogspot.com/ http://herve-perdriolle.blogspot.com/ http://indianartcollection.blogspot.com

1) l’accès à l’éducation en langue maternelle et le développement d’une littérature adivasi

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Jadu Patua/Fête de Baha, anonyme, années 80, couleurs végétales sur papier, marouflé sur toile, 34x320cm, collection privée/Photo : Hervé Perdriolle
http://herve-perdriolle.blogspot.com / http://indianartcollection.blogspot.com

Dans chacun des États à forte proportion tribale, un Institut pour les Castes et Tribus répertories (SC, ST) est chargé de mettre au point des manuels d’enseignement et de former les maîtres d’école aux langues minoritaires. Au-delà du constat récurrent des problèmes de l’éducation en zones tribales, j’étudie les initiatives novatrices dans ce domaine.

Parmi celles-ci, l’expérience du Centre Bhasha (Gujarat), fondée par Ganesh N. Devy (1996), spécialiste de littérature et défenseur des droits culturels des adivasi, paraît particulièrement prometteuse. En 1999, ce centre s’est adjoint une Tribal Academy à Tejgadh (zone à forte population tribale), dispensant notamment une éducation primaire en langue maternelle à des enfants adivasi en échec scolaire. Cette action a valu à Bhasha la reconnaissance de l’Académie indienne des arts (Sahitya Akademi), puis du Ministère des Affaires tribales, ainsi que de l’UNESCO. Les Instituts précités peuvent désormais bénéficier des compétences et ressources de ce centre. A un second niveau, l’Académie Tribale contribue à l’émergence d’une littérature adivasi, dont les auteurs revendiquent de « parler par et pour eux-mêmes ».

2) la question de l’éducation et de la littérature trouve son prolongement dans celle de l’art adivasi contemporain et des droits de propriété intellectuelle des œuvres.

Anciennement collectés pour leur valeur ‘ethnographique’, les peintures adivasi notamment sont de plus en plus valorisées sur le marché de l’art national et international. Alors que le peintre Warlis Jivya Soma Mashe vient de recevoir un prix national envié, nombre de motifs ‘traditionnels’ adivasi sont appropriés par des designers ou artistes urbains d’inspiration ‘ethnique’. Il convient donc d’explorer la question des “droits d’exclusivité” sur les “expressions culturelles” (problème posé depuis longtemps dans le domaine musical indien : voir Gradhiva 2010), et de voir comment des recours dans ce domaine sont concrètement formulables ?

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Jangarh Singh Shyam (1962-2001), Tigers hunting, 1995 http://jangarh-singh-shyam.blogspot.com/ Narmada Valley, Madya Pradesh, Inde Photo/Collection : Hervé Perdriolle
http://herve-perdriolle.blogspot.com/ http://indianartcollection.blogspot.com

3) la revendication d’autonomie nous amène aussi aux problèmes plus brûlants de droits sur la terre ou de participation socio-politique.

Le site de SOGIP permettra d’informer régulièrement sur les débats médiatiques et institutionnels qui traitent de ces questions à l’heure actuelle en Inde, tout en cherchant à approfondir l’analyse, en distinguant niveaux et problèmes concrets. Au-delà des images médiatiques, on se concentrera sur les définitions que les communautés adivasi livrent d’elles-mêmes, aujourd’hui. Comment, par exemple, leur lien à la terre (présent dans des mythes d’autochtonie notamment) se ‘globalise’ en défense de la planète. L’un des cas examiné est celui, très médiatisé, du projet d’exploitation minière du massif des Niamgiri (Orissa), habité par le groupe des Dongaria (“montagnards/forestiers”) Kond. Ce cas particulier est emblématique d’un des aspects de la globalisation les plus sensibles pour les peuples autochtones : l’exploitation des ressources minières. La lutte contre l’exploitation industrielle du sous-sol de leurs territoires tend en effet à devenir un trait commun bien involontaire de la ‘situation autochtone’ contemporaine. On ne saurait donc le laisser à part de l’analyse.

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Données

Données générales Données générales | Raphaël Rousseleau - 10 mai 2011

Carte topographique de l’Inde

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Source : Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/File:India_topo_big.jpg

L’Inde couvre 3,3 millions de km2, et sa population s’élève à un peu plus d’1 milliard d’habitants. Parmi eux, environ 8 % (soit 84 millions) appartiennent à la catégorie des Tribus Répertoriées (Scheduled Tribes) par la Constitution (voir III).

L’Inde est connue pour son système des castes, ou groupes de statuts socio-professionnels héréditaires, généralement associé aux valeurs de l’hindouisme (pureté, rites effectués par des brahmanes).Les Tribus Répertoriées, souvent appelées adivasi (Sanskrit « habitants originels »), ont été définis par contraste avec ce système. Par-delà leur grande diversité, elles disposent en effet d’une organisation par clans (plus que par sous-caste), d’un habitat de hautes-terres (par rapport aux plaines), de langues minoritaires (voir VI), et des conceptions & pratiques religieuses éloignées de l’hindouisme évoqué précédemment.

Indicateurs

  • PIB par habitant : 1 020 $ en 2008
  • Indice de Développement Humain (2005) : entre 128 et 136e rang (sur 177 pays).
  • pauvreté : Selon la Banque Mondiale, en 2005, 42% des Indiens disposaient de moins de 1,25 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat (chiffres évidemment discutés).
  • Espérance de vie (2005) : 63,5 ans
  • Santé : la question sanitaire reste peu politisée, et la croissance économique actuelle n’entraîne pas nécessairement une amélioration sanitaire.
  • Taux d’alphabétisation (2005) : 61 %
  • Le taux officiel d’urbanisation était de 28% en 2001, mais les chiffres cachent une fréquence des villages très étendus et des espaces intermédiaires.

Pour d’autres données statistiques cartographiées, voir le site du Census of India.

Régime politique

L’Union indienne est une fédération constituée de 28 États et 7 Territoires (dont les îles Andamans & Nicobar).

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L’Union indienne. Source : Les dossiers en ligne de La Documentation Française

Au niveau de l’Union, la démocratie indienne s’appuie sur un Président (élu par les membres de l’Assemblée Législative : MLA, et du Parlement : MP), un premier Ministre (PM, leader des MP, forme les ministères) et un Parlement, divisé en Chambre Haute (Rajya Sabha) et Basse (Lok Sabha).

Au niveau des Etats, l’agent central est le Gouverneur (nommé par le Président et le PM). Les membres (MLA) de l’Assemblée Législative d’Etat sont élus tous les 5 ans. Le chef de l’Etat fédéral est le Chief Minister (leader du parti vainqueur des élections des MLA), assisté de ministères d’Etats.

Le gouvernement central est interdépendant avec celui des États. Entre ces deux niveaux, les compétences sont distinguées (police, santé, agriculture, notamment, reviennent aux Etats), mais la balance pèse en faveur du centre, qui gère de fait les compétences partagées (affaires sociales, industries…). Les finances des États restent en outre très dépendantes des fonds de l’Union.Les divisions étatiques suivent souvent des découpages linguistiques, mais qui recouvrent parfois d’autres motivations (par ex. création du Jharkhand, du Chhattisgarh et de l’Uttarkhand en 2000).

La libéralisation (depuis la Nouvelle Politique Economique, 1991) a ouvert le pays aux capitaux étrangers ainsi qu’aux plans de la Banque Mondiale (dont l’Inde est le premier bénéficiaire). Les lois de décentralisation qui l’ont accompagné renforcent les pouvoirs des collectivités locales (commune rurale : gram panchayat (1) ; cantons : block ; districts), mais leur autonomie reste faible (voir IV).

Régime juridique

L’Inde connaît un pluralisme juridique, dû à son histoire. La Constitution reste l’une des principales sources du droit indien, mais celui-ci s’inspire aussi du système de jurisprudence (common law) britannique (accès aux lois et jugements). Le système judiciaire est pyramidal, avec la Cour suprême à son sommet et les 21 Hautes Cours, dont les compétences s’étendent souvent au territoire d’un État. Leurs juges sont nommés par le président de la République. Les tribunaux subordonnés sont subdivisés en trois instances. Il existe, enfin, de nombreux tribunaux à compétence spécialisée (questions agraires, forêt, mines, etc.).
Le droit indien régit tous les domaines, à l’exception du droit civil privé, divisé en droit hindou et musulman. Pour certaines communautés, s’y ajoute une justice coutumière, exercée par des conseils (panchayat) de caste, ou de village (notamment chez les adivasi).

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  • (1) Administrativement parlant, un gram panchayat désigne une « commune rurale » (qui peut recouvrir plusieurs hameaux/villages), dont le conseil est élu au suffrage universel lors des élections municipales. Ce conseil (panchayat), présidé par un sarpanch, est normalement contrôlé par l’assemblée des villageois (gram sabha depuis 1992).

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Contexte régional

Contexte régional et international Contexte régional et international | Raphaël Rousseleau - 11 mai 2011

L’Inde reste la puissance majeure de l’Asie du sud. Elle est incluse dans l’Association Sud-Asiatique pour la Coopération Régionale (SAARC, fondée en 1985), qui comprend aussi l’Afghanistan, le Pakistan, le Népal, le Bhoutan, le Bangladesh, Sri Lanka et les Maldives. Les mêmes pays ont conclu un accord régional de commerce préférentiel (SAPTA, 1995), puis de libre-échange (SAFTA, 2006).

L’Inde dans les accords régionaux

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Source : Roberto GIMENO et Patrice MITRANO, La Documentation Française ; Questions internationales n°15, sept.-oct. 2005

Depuis les réformes de libéralisation des années 1990, l’Inde cherche à se rapprocher de l’organisation de coopération régionale en Asie du Sud-Est (ASEAN, 1967). Un accord de libre-échange entre l’Inde et les pays de l’ASEAN a été signé en 2008.

L’Inde est membre des Nations Unies depuis le 30/10/1945. Elle a ratifié la Convention 107 sur les Peuples Indigènes & Tribaux de l’Organisation Internationale du Travail (ILO), et est signataire de la Déclaration sur les Droits des Peuples Autochtones par l’ONU (UNDRIP 2007). L’Inde a passé son Examen Périodique Universel devant le Conseil des Droits de l’Homme à Genève, en 2008.

Relations internationales sur la question autochtone

L’autochtonie/« indigénéité » des Tribus Répertoriées est devenu une question sensible après l’adoption de la Convention 169 de l’ILO (1989, non ratifiée par l’Inde), puis surtout UNDRIP en 2007. La Déclaration ne précisant pas ce qui constitue les peuples indigènes/autochtones, la position officielle de l’Inde (comme de nombreux pays africains) reste que tous les Indiens sont indigènes au regard de la colonisation.

Des délégués Indiens participent au Groupe de Travail sur les Populations Autochtones (WGIP) depuis 1987 (1). La Confédération Indienne des Peuples Indigènes et Tribaux (ICITP, présidée par le Professeur Ram Dayal Munda) est la première organisation à y avoir participé, ainsi qu’à l’Instance Permanente sur les questions Autochtones des Nations Unies (UNFPII). Leur revendication majeure demeure la reconnaissance de l’équation adivasi/tribu= Indigenous People et l’application des normes internationales afférentes.

Dans les années 90, le Forum de Coordination PanIndien des Peuples Adivasi /Indigènes (All India Coordinating Forum of Adivasi/Indigenous Peoples : AICFA/IP), a cherché à s’imposer comme alternative. Depuis, de nombreuses organisations adivasi & indigènes se sont constituées (2) , défendant des intérêts plus localisés (Naga pour l’indépendance, Bodo pour la séparation de l’Assam) ou spécialisés (littéraires, droits des femmes, Comités contre des projets de mines ou de barrage, etc.).
Les plus importantes font aussi partie d’organisations ‘parasols’ asiatiques : Asia Indigenous Peoples’ Pact (AIPP) ; Asian Indigenous & Tribal Peoples Network (AITPN).

Aujourd’hui, les débats sur l’autochtonie/indigénéité en Inde (académiques (3) comme institutionnels (4) ) se sont déplacés de la « primauté » réelle sur le territoire (first-ness) vers la reconnaissance d’une expérience passée de dépossession, associée à des différences socio-culturelles revendiquées par rapport au modèle dominant, ainsi qu’une dépendance forte (économique et culturelle) à la terre.

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  • (1) Pour une étude détaillée, cf. Bengt G. Karlsson, « Anthropology and the ‘Indigenous Slot’. Claims to and Debates about ‘Indigenous Peoples’ Status in India », Critique of Anthropology, SAGE, 23/4, 2003 : 403-423 ; « Asian Indigenousness : the case of India », Indigenous Affairs, 3-4, 2008 : 24-30.

    (2) Pour une liste non-exhaustive : DOCIP (Onglet Organisations/Pays). Les organisations tribales du Nord-Est préfèrent se dire « indigènes », et réservent le terme adivasi aux groupes du reste de l’Inde (Roy Burman 2009).

    (3) Voir V. Xaxa, Tribes as Indigenous People…. Reste à savoir si la stratégie indigéniste est toujours efficace, ni sans risque d’ethnicisation : Karlsson 2003 op. cit. ; Alpa Shah, « The Dark Side of Indigeneity ? Indigenous People, Rights and Development in India », History Compass, 5 (6), 2007 : 1806-1832.

    (4) Voir les échanges entre James Anaya, le Rapporteur spécial des peuples autochtones au Conseil des Droits de l’Homme et le Gouvernement indien : 15th session, 14 Sept. 2010 (Addendum – Communications to & from Governments : A/HRC/15/37/Add.1, p.93-102).

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Droits

Droit et politique Droit et politique | Raphaël Rousseleau - 11 mai 2011

Droit et politique relatif aux Tribus Répertoriées

Proportion de population tribale par Etat

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Source : Census of India 2001, Ministry of Tribal Affairs

La Constitution de l’Inde fournit une définition uniquement administrative des Tribus Répertoriées dans ces textes (Scheduled Tribes) (1) , ‘déclarées comme telles par le Président de l’Inde’ (art. 342 ; 366-25).

La liste constitutionnelle des Tribus Répertoriées (461 aujourd’hui ; liste-wikipedia, voir aussi annexe 6-F du rapport 2009-2010 du Ministère des Affaires Tribales : pp.46-57) a intégré les classifications coloniales de tribus habitant des Aires réservées (1935 notamment). Ceci explique pourquoi certains groupes sont classés comme tribaux dans un Etat de l’Union et pas dans un autre. Cette liste évolue, car des groupes peuvent demander à intégrer cette catégorie, ou en être retirés. Ces demandes remontent vers le Président de l’Union par les Départements des Classes défavorisées des Etats (voir ci-dessous).

La Constitution prévoit des mesures générales de discrimination positive en faveur des adivasi :

  • réservation de postes dans les institutions éducatives (art.15.4-5) et l’administration (art.16.4 ; quota fédéral de 7,5 % de ST)
  • réservation de sièges dans les chambres gouvernementales Lok Sabha et State Legislative Assemblies (art. 330-335) ;
  • mesures concernant les terres et l’éducation (voir V et VI) ;
  • programmes sociaux (welfare) (art. 46, 275) ;
  • création d’une Commission Nationale pour les Tribus Répertoriées (NCST) (art. 338-338A), investie des pouvoirs d’une cour civile pour enquêter et promulguer des recommandations.

La partie X de la Constitution, consacrée aux Aires réservées (Scheduled areas : art. 243) à population tribale, divise leur administration en deux législations :

Les Etats centraux suivants : Andhra Pradesh, Jharkhand, Gujarat, Himachal Pradesh, Maharashtra, Madhya Pradesh, Chattisgarh, Orissa et Rajasthan (art. 244.1, et Annexe 5 /5th Schedule)
Dans ces Etats, le Gouverneur doit veiller à :

  • assister les adivasi à jouir de leurs droits (notamment veiller au non-transfert de leurs terres, et au contrôle des pratiques d’usure) ;
  • développer les Aires répertoriées (économie, éducation, bien être social).
  • Il est épaulé par un Conseil Tribal Consultatif (Tribal Advisory Council), qui comprend 20 membres dont 3/4 sont représentants des ST à l’Assemblée Législative de l’Etat.
  • Un Ministère des Affaires Sociales (Welfare) Tribales est créé dans les Etats centraux, à forte proportion adivasi (Orissa, Madhya Pradesh, Chhattisgarh et Jharkhand : art.164.1).
  • Un Département des Classes défavorisées (Backward Classes) gère les programmes d’aide, à travers un sous-Département/Institut (nom variable) des Classes & Tribus Répertoriées. Celui-ci redistribue les fonds aux Agences de Développement, et doit veiller à l’éducation primaire en langue adivasi, sur proposition de chaque Etat (voir VI). Il est aussi chargé d’étudier et statuer sur les demandes d’intégration à la liste des ST.

La région du nord-est (art. 244.2, 275.1A & Annexe 6/ 6th Schedule), i.e. les Etats actuels d’Assam, Tripura, Meghalaya et Mizoram (art.371G) (2).
Des Conseils de Districts et Conseils Régionaux Autonomes sont créés dans les aires répertoriées (3), avec pouvoir de légiférer directement (avec l’aval du gouverneur) sur :

  • le transfert et usage des terres, les forêts et la régulation de l’essartage, l’eau, l’administration des villages, la santé, la succession des chefs, les mariages, divorces, succession et coutumes sociales.

Ces conseils ont aussi pouvoir :

  • de cour d’appel sur la population tribale de sa juridiction
  • d’établir des écoles primaires (en langue maternelle ou non)
  • de disposer de fonds et de collecter des taxes
  • d’accorder (et négocier) la prospection et l’extraction de minerais sur leur territoire.

En Octobre 1999, un Ministère central des Affaires Tribales (MTA) a été créé. Chargé de coordonner les programmes de développement (dont « la responsabilité primaire » repose toujours sur les ministères des affaires sociales, de l’éducation, etc.), les activités du ministère se concentrent sur l’aide sociale, les bourses aux étudiants des groupes concernés, l’information et le conseil sur l’application des législations regardant les tribaux : Forest Act ; Protection of Civil Rights Act, 1955 ; SC&ST (Prevention of Atrocities) Act, 1989. Le MTA s’occupe aussi de la NCST, de la promotion d’un artisanat tribal (TRIFED) et des invités tribaux pour la fête nationale (Republic day celebrations).

En pratique, ces mesures n’ont pourtant pas suffi à pallier les inégalités (spoliations foncières, difficultés d’accès à l’éducation, violences subies surtout sur les lieux d’affrontements entre forces spéciales et maoïstes ou indépendantistes, etc.). Quant aux structures, la NCST n’a pas de véritable autonomie financière, ni administrative, et les activités du MTA ont été critiquées par le Comité Parlementaire pour la Justice sociale. Son texte provisoire d’un nouveau « National » Policy concernant les Tribus « Répertoriées » a été rejeté comme paternaliste par plusieurs organisations tribales / indigènes (AITPN 2006 ; Karlsson 2004). Ces dernières demandent de sortir d’un cadre d’aide sociale attentiste, pour obtenir un droit à l’auto-détermination active et un contrôle sur l’utilisation de leurs terres & ressources (‘consentement préalable, libre & informé’ en cas de déplacement, compensation en terres et non en monnaie).

Une mesure allant en ce sens, pour les zones régies par l’Annexe 5, est la Panchayat (Extension to Scheduled Areas) Act, ou PESA Act. Passée le 24 déc. 1996 (basée sur le rapport de la commission Bhuria 1993), cette loi oblige les Etats à prendre en compte les droits coutumiers, les pratiques socioreligieuses et les usages traditionnels dans l’administration des communes concernées. Elle élargit surtout les compétences des communes rurales, en rendant nécessaire la consultation des conseils élus (panchayat) et des « assemblées de village » (gram sabha) pour tout programme de développement, acquisition de terre par des non-tribaux, affaires de justice locale, gestion du territoire et des ressources (minor minerals et en eau).La mise en application d’une telle autonomie rencontre cependant beaucoup de résistance dans les Etats. D’autres débats portent sur les droits coutumiers et la pertinence de conserver/restaurer des structures de pouvoir traditionnels (chefs de village/district) au sein de ‘la plus grande démocratie du monde’.

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contacter auteur Droit etSite internet Droit etnotes
  • (1) Dans sa version en Hindi, la Constitution n’utilise pas le terme adivasi, mais Anusuchit Jana Jati.

    (2) Ces deux derniers Etats ont été créés par le North-Eastern Area (Reorganisation) Act, 1971, de même que le Manipur et l’Arunachal Pradesh. Le Nagaland (créé en 1962) ainsi que ces deux derniers Etats disposent de statuts spéciaux, régis par les articles 371 A, C et H de la Constitution. Le Sikkim (1975) est sous l’article 371F.

    (3) A noter, pour l’Assam, l’extension des pouvoirs accordés aux Conseils Autonomes des North Cachar Hills et Karbi Anglong, ainsi qu’au Conseil Territorial du Bodoland, par des amendements respectivement de 1995 et 2003.

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Territoire

Terre, territoire et ressources Terre, territoire et ressources | Raphaël Rousseleau - 11 mai 2011

L’histoire du système foncier indien est d’une grande complexité, à l’échelle du pays. Des tenures individuelles cohabitaient avec des tenures villageoises réparties par le chef (séculier/ religieux), notamment chez les adivasi. Parmi eux, la distinction la plus courante oppose le lignage fondateur-défricheur, qui représente les « gens de la terre » (Bhumiya, Bhuinhar), aux occupants ultérieurs du village, dépendants des premiers pour l’usage des terres. Etendue à l’échelle régionale, ce statut était reconnu rituellement dans certains royaumes indiens. Il constitue la base indigène de la distinction actuelle entre tribaux « autochtones » et populations secondaires.

Aujourd’hui, en zone non-forestière, la plupart des villages disposent de cadastrage foncier, et les agriculteurs possédants, des titres de propriété (patta) privés. Ceci vaut dans les régions de plaine, mais de nombreux tribaux vivent sur des hauts-terres forestières, où la terre appartient au Ministère de l’Environnement & des Forêts (MoEF, voir ci-dessous).

La Constitution

La constitution prohibe le transfert de terres appartenant à des tribaux (ST) vers des non-tribaux (art. 244.1). En pratique, il existe pourtant des moyens de contournement de la loi (achat au nom d’une personne tribale isolée et manipulée), d’autant plus efficaces dans les zones où les adivasi restent peu éduqués et sous l’emprise d’usuriers. Mais les transferts individuels de terre agricole représentent peu de choses à côté de l’aliénation des terres tribales par les Etats mêmes (1). Le 44e amendement (1978) à la Constitution a retiré le droit de propriété de la liste des droits fondamentaux, et l’article 300-A introduit un droit d’Etat à la réquisition des terres (eminent domain).

Barrages

De fait, les adivasi (8% de la population) représentent 40 à 50 % des personnes déplacées par des barrages depuis l’indépendance. L’exemple le plus célèbre est celui du Sardar Sarovar sur le fleuve Narmada, dont deux-tiers des déplacés (240 000) appartiennent aux Tribus répertoriées (2). La canalisation des eaux entraîne, non seulement le déplacement, mais aussi une limitation de l’accès à l’eau pour les populations, tandis que les schèmes de dédommagement sont notoirement insuffisants.

Forêts

En 2003, 23% du territoire national relevait du MoEF. L’administration des forêts a d’abord hérité de la gestion coloniale, jugeant les habitants-usagers des forêts comme des intrus illégaux. De même, la cueillette et l’essartage qu’ils pratiquaient étaient perçues comme économiquement irrationnelle et portant atteinte à l’intégrité des ressources en bois et au couvert végétal. La collecte de Produits Forestiers Mineurs a cependant été reconnue, puis les droits et savoirs faire des populations rurales à travers un programme de Gestion Conjointe des Forêts (Joint Forest Management, 1990).

Votée en 2006, la loi de Reconnaissance des Droits des Tribaux et autres Habitants-usagers des Forêts – Scheduled Tribes & Other Traditional Forest Dwellers (Recognition of Forest Rights) Rules – reconnaît enfin des droits fonciers familiaux (héritables mais non-transférables) et collectifs dans des aires forestières pour les Tribaux (ST) et d’autres groupes vivant expressément de la forêt (3).

La responsabilité de mise en vigueur de la loi dépend néanmoins des Etats, puis les demandes doivent être constituées par l’assemblée villageoise (Gram Sabha) et déposées auprès du Bureau Forestier (Forest Office), si bien que la loi reste peu/mal appliquée. De fait, la forêt dense disparaît largement en Inde, mais essentiellement au profit de projets industriels, notamment miniers.

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Paysan travaillant dans sa rizière devant la raffinerie de Lanjigarh, Kalahandi dist., Orissa (décembre 2010). Photo : Sogip

Mines

De nombreuses ressources minières se situent précisément sur les hautes-terres ou dans les aires montagneuses réservées, habitées par les tribaux. Les législations industrielles (Extractive Industries Review, 2004) ont intégré la nécessité du « consentement préalable et informé » (Free Prior Informed Consent). Des consultations publiques sont organisées, mais elles restent largement ‘sous influence’ des organisateurs.

En 1997, un jugement de la Cour Suprême en faveur d’une ONG vs l’Etat d’Andhra Pradesh (dit Samata Judgment) a réaffirmé le droit fondamental, constitutionnel, à l’inaliénabilité des terres tribales et insisté sur le fait que seules des compagnies dirigées par des tribaux ou du secteur public pouvaient acquérir de telles terres pour les exploiter. Ce jugement fait désormais jurisprudence, mais les compagnies privées internationales ont trouvé le moyen de contourner les garanties constitutionnelles : elles signent des accords de coopération industrielle (joint venture) avec des compagnies minières d’Etat (Public Sector Undertakings) (4).

En 2008, le Gouvernement indien a publié les orientations de sa Politique Minière Nationale (onglet Droits & Politique), insistant sur la primauté de l’exploitation minière pour le développement économique du pays. L’unique garde-fou imposé aux entreprises est d’intégrer leur projet dans le cadre du Développement Durable (Sustainable Development Framework), et de garantir la Responsabilité Sociale des Entreprises. Or, le contrôle de cette régulation revient à des auditeurs privés, corruptibles. Loin de la publicité du développement, la plupart des districts produisant des minéraux sont parmi les plus pauvres de l’Inde.

Enfin, outre les forêts, les industries minières touchent aussi aux ressources en eau, puisque de très nombreux barrages sont construits pour alimenter les besoins énergétiques de ce secteur. De même, les zones montagneuses de l’Est disposent de gisements majeurs, mais leur exploitation perturberait profondément le cycle de l’eau nécessaire à l’alimentation des plaines en contrebas (5).

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Paysannes aux champs devant les installations en construction de la raffinerie de Lanjigarh, Kalahandi dist., Orissa (décembre 2010). Photo : Sogip
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  • (1) Nandini Sundar (ed.), Legal grounds. Natural Resources, Identity and the Law in Jharkhand, New Delhi, Oxford University Press, 2009.

    (2) Voir les travaux d’Amita Baviskar.

    (3) Ces autres habitants-usagers traditionnels doivent justifier d’une résidence (eux-mêmes ou leurs parents) dans la forêt concernée depuis 75 ans avant le 13/12/2005, et d’une dépendance vitale vis-à-vis de ce territoire.

    (4) Felix Padel & Samarendra Das,Out of this Earth. East India Adivasis and the Aluminium Cartel, New Delhi, Orient Blackswan, 2010 (p.116, 191).

    (5) Voir : Padel & Das op cit., Health of the Hills is the wealth of the plains sur le site de Samata, ainsi que le site Mines, Minerals and Peoples.

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Culture

Langue, éducation et culture Langue, éducation et culture | Raphaël Rousseleau - 12 mai 2011

Langues

L’Inde connaît deux familles linguistiques majoritaires
(données : Census of India 2001) :

A) les langues indo-aryennes (branche des Indo-européennes) au nord (Hindi : 41% de la population, Bengali : 8,1%, etc.) ;
B) les langues dravidiennes au sud (Télougou : 7,2%, Tamoul : 5,9%, etc.).

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Carte intitulée "Les langues en Inde", parue dans le "Dictionnaire de l’Inde contemporaine" © Armand Colin, 2010 / Cartographe : Aurélie Boissière (Carte reproduite avec l’accord des éditions Armand Colin)

Les familles linguistiques minoritaires comptent :

C) les langues tibéto-birmanes dans les régions himalayennes (Manipuri : 1,4 million de locuteurs, soit 0,14%, Bodo : 0,13%, etc.) ;
D) les langues austro-asiatiques (dites aussi munda au sens large), disséminées dans l’est et le centre du pays (Santali : 6,4 millions de locuteurs, soit 0,63 %, Oraon, etc.) ;
E) les langues andamanaises (Jarawa, Onge, etc.).

Langues officielles de l’Union : Hindi, Anglais (langue officielle associée).
Langues constitutionnelles actuelles (par familles) :

A) Assamais, Bengali, Dogri, Gujarati, Hindi, Kashmiri, Maithili, Marathi, Nepali, Oriya, Ourdou, Panjabi, Sanskrit, Sindhi ;
B) Kannada, Konkani, Malayalam, Tamoul, Télougou ;
C) Manipuri ;
D) Santali.

(Carte / distribution, numbers of speakers)

Education, littérature

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Ganesh Devy (au fond) parmi les élèves adivasi de l’école primaire, « Académie tribale » de Tejgadh, Gujarat (décembre 2010). Photo : Raphaël Rousseleau

Le principe d’universalité de l’éducation figurait dans la Constitution, mais est devenu un droit fondamental à l’éducation (jusqu’à 14 ans) en 2002. Depuis 1976, les États (ministères de l’éducation) partagent la compétence de l’éducation avec le Centre (National Council on Educational Research and Training). Les fonds affectés à l’éducation demeurent pourtant insuffisants (moins de 5% du PIB), et l’éducation primaire demeure très dépendante de l’origine sociale. Seuls les enfants de milieux défavorisés fréquentent les écoles publiques (marquées par un fort taux d’absentéisme des enseignants), tandis que les familles favorisées privilégient les écoles privées à l’enseignement en Anglais. Si le Sud du pays a fait de grands progrès, et le Nord-Est a eu l’opportunité des écoles chrétiennes, le retard persiste dans les États du centre, de l’est, et du Rajasthan, tous à forte population adivasi.

Taux d’alphabétisation

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Source : Census of India 2001 ; Survey of India map.
http://en.wikipedia.org/wiki/File:India_literacy_rate_map_en.svg

Voir aussi les cartes interactives très utiles de demographie.net.

La Constitution garantit aux tribaux comme à toute minorité le droit de conserver leur langage et leur culture (ainsi que leur script) ; d’établir des institutions éducatives de leur choix, (art. 29.2, 30). Elle prévoit également que chaque Etat doit offrir des facilités pour l’instruction en langue maternelle au niveau du primaire (art. 347, 350a) (1). Le Ministère des Affaires Tribales développe aussi des mesures en matière d’éducation à un niveau supérieur. Notons que le Parlement a voté, en 2007, la création d’une Université Tribale Nationale Indira Gandhi (IGNTU) qui se situera à Amarkantak (Madhya Pradesh).

Dans les faits, l’application de ces lois fédérales reste entre les mains des Etats (établissement d’un département spécialisé, publication de manuels, organisation de stages de formation). Créés eux-mêmes sur base linguistique, les Etats promeuvent avant tout la langue dominante régionale, et tendent à laisser aux communautés tribales le soin de transmettre ou non leur langue et leur culture (2). De ce fait, hormis les indigènes des îles Andamans et Nicobar dont la culture est en voie d’extinction, les groupes les moins favorisés sont les adivasi régis sous la 5e annexe (5th Sched.), car ils sont aussi moins éduqués et davantage soumis aux politiques régionalistes.

Ainsi, malgré les garanties constitutionnelles, V. Xaxa parle de politique assimilationniste de fait en Inde centrale, par rapport à l’intégration socio-politique qui fonctionne dans le Nord-Est grâce à l’autonomie plus grande laissée aux populations (3).

Davantage que les arts plastiques, et sur la lancée du post-colonialisme, le domaine le plus investi par des militants adivasi est la littérature, dans les langues tribales majoritaires que sont : dans l’Est le Santali et, dans l’Ouest le Bhil et les langues apparentées (4). Hormis un département de Mundari à l’Université de Ranchi (Jharkhand), il existe un Forum Littéraire Tribal panindien (All India Tribal Literary Forum) et une Académie Adivasi au Gujarat (Adivasi Academy de Tejgadh), qui aide à la publication d’ouvrages et journaux en langues tribales.

Religion

La liberté religieuse est, elle aussi, garantie par la Constitution. Présente dans les recensements coloniaux, la catégorie « religion/origine tribale » a disparu des classifications peu après l’indépendance (Xaxa 2005). De ce fait, la plupart des tribaux s’inscrivent comme Hindous, hormis dans les zones plus politisées comme le Jharkhand (voir le site du Census of India), qui a la plus forte population de « religion autre » que les religions officielles (Hindouisme, Christianisme, Islam, Jainisme, Bouddhisme et Sikhisme). Lors d’une Conférence Adivasi, qui s’est tenue le 1er Janvier 2011 (à Burnpur, Bengale), 750 délégués d’organisations militantes ont ainsi demandé la restauration d’une catégorie distincte pour leur religion. Le nom en reste toutefois discuté (Adi dharma / Sarna dharma…).

Outre cette absorption administrative, dans certaines régions, des extrémistes hindous font physiquement pression sur les adivasi (qu’ils préfèrent appeler vanavasi : « habitants des forêts ») pour qu’ils adoptent un hindouisme ‘purifié’ selon leurs normes, voire s’enrôlent dans leurs mouvements anti-chrétiens ou musulmans (5). Ces extrémistes ne tolèrent pas que des adivasi, Indiens par définition, puissent réclamer une identité nationale autre qu’hindoue.

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  • (1) Pour une synthèse sur les dispositions linguistiques en Inde, voir le site de l’Université de Laval

    (2) Virginius Xaxa, « Politics of language, Religion and Identity : Tribes in India », Economic and Political Weekly, March 26, 2005, pp. 1362-1370.

    (3) Cette plus grande autonomie fait écho au principe prôné par Verrier Elwin (et repris dans les panchasila de Nehru) au sujet de l’actuel Arunachal Pradesh (ancienne North-East Frontier Agency) de laisser les tribus ‘suivre un développement fidèle à leur propre génie’.

    (4) Sur les premiers, voir les travaux de Marine Carrin, et sur les seconds, les publications du centre Bhasha associé à l’Adivasi Academy de Tejgadh (Gujarat).

    (5) Voir les travaux de Peggy Froer, Amita Baviskar et Alpa Shah.

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