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Aires de recherche | Bolivie

Projet de recherche

Projet de recherche Projet de recherche | Laurent Lacroix - 5 avril 2011

Bolivie : Instauration de l’Etat plurinational sous la vigilance des organisations autochtones

Cadre de recherche

L’arrivée au pouvoir d’Evo Morales (2005), la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et la nouvelle Constitution politique instaurant un Etat plurinational (2009) constituent trois événements majeurs pour les peuples autochtones de Bolivie.

Ce nouveau contexte a ouvert plusieurs perspectives inédites pour ces derniers, notamment la reconnaissance et l’application de nouveaux droits, l’instauration d’entités territoriales et juridictionnelles à la fois spécifiques et autonomes ou encore une présence significative au sein des institutions étatiques et publiques.

Tout en considérant la situation sociopolitique nationale et les relations entre les organisations autochtones et le gouvernement d’Evo Morales, cette recherche propose de mesurer l’application de la Déclaration des Nations Unies en Bolivie et d’évaluer si ce pays peut constituer une référence en la matière au niveau international. Elle se focalise principalement sur la question des « autonomies indigènes », la participation et la représentation politiques des peuples autochtones et la gouvernance des ressources naturelles.

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Vigilance permanente des peuples autochtones/Vigilancia permanente de los pueblos autóctonos
Photo : Laurent Lacroix

Axes de recherche

Application de la Déclaration des Nations Unies

La Constitution bolivienne considère l’ensemble des droits reconnus aux peuples autochtones dans la Convention 169 de l’OIT (1989) et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007). Son application implique la rénovation complète du cadre législatif et des innovations juridiques. Pour chacune des nouvelles lois concernant les peuples autochtones seront analysés le contexte de promulgation, les correspondances de droit avec les instruments internationaux existants et l’impact de ces lois aux niveaux national et international.

Participation et représentation politique

L’Etat plurinational implique une reconsidération des modes de représentation et de participation politique, en particulier pour les peuples autochtones. Ces processus seront appréhendés par l’analyse des élections locales et nationales, le recensement des postes politiques occupés par des représentant(e)s autochtones au sein des institutions publiques et des organes gouvernementaux, l’analyse des relations entre ces représentant(e)s et leurs bases, l’observation des alliances entre les organisations autochtones et le gouvernement d’Evo Morales.

« Autonomie indigène »

L’autonomie indigène originaire paysanne est l’un des quatre régimes d’autonomie définis par la Constitution et peut s’appliquer à trois des quatre niveaux d’entités territoriales autonomes sur lesquelles repose l’organisation politico-administrative de l’Etat plurinational bolivien. Plusieurs localités sont en passe d’adopter ce régime. Chacune de ces expériences sera recensée et décrite (statuts, formes, compétences) pour évaluer le processus actuel d’instauration d’entités territoriales et juridictionnelles autochtones en Bolivie et les débats qu’il génère.

Consultation préalable, libre et éclairée

En dépit du nouveau contexte favorable à la question autochtone en Bolivie, la planification de mégaprojets et de projets d’extraction pétrolière ou minière se poursuit sans consultation ni participation directe des peuples autochtones. Cette situation fait l’objet d’une controverse entre ces derniers et l’Etat bolivien et semble symptomatique d’une marginalisation persistante des peuples autochtones de la sphère décisionnelle. Les débats et les conflits à venir seront importants à analyser pour évaluer l’application des droits politiques des peuples autochtones et les perspectives d’une mise en place effective des « autonomies indigènes ».

Ces axes de recherche permettent d’évoquer les débats, les discours et les pratiques autour de l’autochtonie, de l’autodétermination et de la relation majorité/minorité politique et/ou ethnique.

Ces orientations de recherche ne sont pas exclusives. La santé, l’éducation ou encore l’activisme transnational et international des peuples autochtones feront l’objet d’une veille scientifique dans le cadre de la perspective comparative proposée par le projet SOGIP.

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Données

Données générales Données générales | Laurent Lacroix - 5 avril 2011

La Bolivie se situe au coeur de l’Amérique du Sud, entre le Brésil, le Pérou, le Chili, l’Argentine et le Paraguay. Le pays compte deux grandes régions géoclimatiques, la région andine (cordillère des Andes, Altiplano, vallées) et les Basses Terres (forêts tropicales, Amazonie, forêts sèches, savanes et Chaco) qui couvrent respectivement 1/3 et 2/3 du territoire national.

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La bolivie/Bolivia. Source/Fuente : Wikipedia

Aperçu démographique et linguistique

Lors du dernier recensement officiel de 2001, la population bolivienne s’élevait à 8,3 millions d’habitants (9,3 millions selon les dernières estimations réalisées en 2009) dont 50,16 % étaient des femmes et 49,84 % des hommes. 62,42 % de la population vivait en zone urbaine et 37,58 % en milieu rural. Selon ce même recensement, 66 % de la population bolivienne s’autodéfinissait comme « autochtone » et/ou avait pour langue maternelle une langue autochtone. Un nouveau recensement national va être organisé en 2011. À ce jour, on ne sait pas si la catégorie « indigène originaire paysanne » établie par la Constitution sera considérée dans l’enquête. Pour plus de détails sur cette catégorie, consulter la section Droits et Politique.

La Constitution bolivienne (2009) reconnaît comme langues officielles le castillan et les langues des 36 peuples et nations autochtones reconnus par l’Etat. Pour plus de détails, consulter la section Langue, éducation et culture.

Pauvreté et santé précaire

La Bolivie est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine si l’on considère les indicateurs socio-économiques internationaux. La pauvreté affecte environ 60% de la population, principalement les aires rurales et près de 80% des personnes autochtones.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, l’espérance de vie est de 64 ans pour les Boliviennes et de 67 ans pour les Boliviens. Le quotient de mortalité infantile s’élève à 61/1000.

Malgré l’instauration d’un système basique de santé (1998), d’un système universel de maternité infantile (2002), d’un Bon Juana Azurduy de Padilla (2009) destiné à couvrir les frais médicaux de grossesse et des premiers mois de maternité pour toutes les femmes et la hausse permanente du budget national destiné à la santé publique (6,6 % en 2006), les peuples autochtones restent en marge du système de santé. Ces derniers demandent une extension de la couverture de santé et un développement des services de soins jusque dans leurs communautés ainsi qu’un soutien étatique à la médecine traditionnelle et à sa compatibilité avec la médecine occidentale. Les pneumonies, la tuberculose, le choléra et le Mal de Chagas sévissent dans de nombreuses communautés autochtones où la situation sanitaire reste précaire.

Organisation politique et juridique

La Bolivie constitue un « Etat unitaire de droit plurinational et communautaire ». L’organisation politico-administrative se compose de quatre niveaux que sont les municipalités, les départements, les régions et les territoires autochtones. Chacune de ces entités territoriales devient « autonome » après élaboration et approbation par référendum local d’un statut de fonctionnement interne avalisé par le Tribunal Constitutionnel. Un régime spécial d’autonomie indigène originaire paysanne aux niveaux municipal, régional et territorial peut être accordé aux « nations et peuples » autochtones qui en font la demande auprès de l’Etat.

Le régime juridique tend vers le pluralisme et se compose de 4 types de juridictions : la juridiction ordinaire exercée par le Tribunal Suprême de Justice, les tribunaux départementaux de Justice et de Sentence ainsi que les juges ; la juridiction Agro-environnementale par le Tribunal Agro-environnemental et les juges compétents ; les juridictions spéciales régulées par la loi ; la juridiction indigène originaire paysanne exercée par les autorités autochtones compétentes selon les normes et les procédures de chaque peuple autochtone.

La fonction judiciaire est unique. Ces 4 juridictions jouissent du même statut. Aucune hiérarchie n’est établie entre elles. La justice constitutionnelle est sous l’autorité du Tribunal Constitutionnel Plurinational.

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Contexte régional

Contexte régional et international Contexte régional et international | Laurent Lacroix - 18 avril 2011

La Bolivie et les intégrations régionales

La Bolivie est l’un des pays membres fondateurs de la Communauté Andine des Nations (1969). Depuis 1996, elle est associée au Marché Commun du Sud (1991).

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La Bolivie dans la CAN et le MERCOSUR/Bolivia en la CAN y MERCOSUR
La Communauté Andine des Nations et le Marché Commun du Sud/La Comunidad Andina de las Naciones y El Mercado Común del Sur Source/Fuente : Wikipedia

Elle participe à l’Association latino-américaine d’intégration (1980) dont l’objectif est de créer un marché commun latino-américain. En 2000, elle prend part à l’Initiative pour l’Intégration Sud-américaine qui consiste à développer les réseaux de transports et de communication dans la région. La construction de corridors dits bi-océaniques destinés à relier l’océan Atlantique et l’océan Pacifique est à l’origine d’un conflit entre les peuples autochtones et l’Etat bolivien, notamment dans le Territoire Indigène et Parc National Isiboro Sécure qui doit être traversé par une voie reliant les municipalités de Villa Tunari à San Ignacio de Moxos.

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Le TIPNIS et le projet de route IIRSA / El TIPNIS y el proyecto de carrera del IIRSA
Source/Fuente : http://www.oecoamazonia.com/
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http://www.kaosenlared.net

Le gouvernement d’Evo Morales s’oppose à l’Accord de Libre Commerce des Amériques (ALCA) proposé par les Etats-Unis. Depuis 2006, la Bolivie a intégré l’Alternative Bolivarienne des Amériques (ALBA) établie par le gouvernement vénézuélien d’Hugo Chávez. Elle refuse d’établir des Traités de Libre Commerce avec les Etats-Unis ou l’Europe, privilégiant les Traités de Commerce entre les Peuples dans le cadre de l’Alternative Bolivarienne.

En 2008, la Bolivie a participé à la fondation de l’Union des nations sud-américaines, une association politique dotée d’un Parlement dont le siège est installé à Cochabamba en Bolivie.

Peuples autochtones transfrontaliers

12 des 36 peuples autochtones de Bolivie sont transfrontaliers avec les pays suivants :

Peuple autochtoneFrontière avec
Aimara L’Argentine, le Chili & le Pérou
Ayoreo Le Paraguay
Chiquitano Le Brésil
Ese Ejja Le Pérou & le Brésil
Guaraní L’Argentine & le Paraguay
Machineri Le Brésil & le Pérou
Moré Le Brésil
Pacahuara Le Brésil
Quechua L’Argentine, le Chili, la Colombie, l’Equateur & le Pérou
Tapieté L’Argentine & le Paraguay
Weenhayek Le Paraguay & L’Argentine
Yaminahua Le Brésil & le Pérou

Elaboration propre selon l’Atlas Sociolingüístico de Pueblos Indígenas en América latina, 2009, AECID-PROEIB Andes, Unicef. http://www.proeibandes.org/atlas/

Les Guaraní et les Aymara tentent de maintenir une cohésion au-delà des frontières nationales en organisant des rencontres transfrontalières régulières. En novembre 2010, 400 représentant(e)s du peuple guaraní de Bolivie, d’Argentine, du Brésil et du Paraguay se retrouvaient à Asunción pour la « Troisième rencontre continentale du peuple guaraní » . Dans les Andes, quelques municipalités de Bolivie, du Chili et du Pérou forment l’Alliance stratégique Aymaras sans Frontières pour tenter d’améliorer la promotion touristique et le développement économique local.

Organisations autochtones transnationales et continentales

Deux grandes organisations autochtones existent en Amérique du Sud.

La Coordination Andine des Organisations Indigènes (CAOI) créée en 2006 regroupe les organisations autochtones andines nationales d’Equateur (ECUARUNARI), du Pérou (CONACAMI), de Colombie (ONIC), d’Argentine (ONPIA), du Chili (CITEM) et de Bolivie (CONAMAQ). Plusieurs organisations sont membres solidaires. Parmi elles, la Confédération Syndicale Unique des Travailleurs Paysans de Bolivie (CSUTCB) et la Fédération Nationale des Femmes Bartolina Sisa (FNMBSB).

La Coordination des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien (COICA) fondée en 1984 rassemble les organisations autochtones amazoniennes nationales du Pérou (AIDESEP), de Guyana (APA), du Brésil (COIAB), d’Equateur (CONFENIAE), de Guyane (FOAG), du Suriname (OIS), de Colombie (OPIAC), du Venezuela (ORPIA) et de Bolivie (CIDOB).

Malgré leurs différences régionales, le rôle de ces deux coordinations consiste à représenter les intérêts des peuples autochtones, présenter leurs revendications, défendre leurs droits, obtenir des territoires, revaloriser leurs cultures et leurs langues.

Depuis 1992, la majorité des peuples autochtones d’Amérique latine nomment Abya Yala le continent américain. Cet acte de réappropriation terminologique s’accompagne de rencontres continentales. Le 4ème sommet des peuples d’Abya Yala s’est réalisé en 2009 au Pérou et a rassemblé 6500 délégué(e)s autochtones.

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ContexteA visionner

Droits

Droit et politique Droit et politique | Laurent Lacroix - 18 avril 2011

Droits internationaux des peuples autochtones

La Convention 169 de l’OIT a été entérinée par la loi 1257 du 11 juillet 1991.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été érigée en loi nationale, loi n°3760 du 7 novembre 2007.

Les peuples autochtones dans la Constitution et dans les lois

La Constitution politique de 2009 définit la Bolivie comme un « Etat unitaire de droit plurinational et communautaire » (art.1). Un article sur huit du texte constitutionnel traite directement de la question autochtone.

Les peuples autochtones sont dénommés « nations et peuples indigène originaire paysans ». Est considérée comme telle « toute collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une cosmovision dont l’existence est antérieure à l’invasion coloniale espagnole » (art. 30).

La Constitution bolivienne garantit aux peuples autochtones le droit à la libre détermination, l’autonomie, l’autogouvernement, la culture. Elle reconnaît leurs institutions, leurs territoires et leurs systèmes de gouvernement dans le respect de l’unité de l’Etat.

La question autochtone devient transversale tant au niveau politique que législatif. Depuis 2009, elle est évoquée dans de nombreuses lois promulguées : en particulier dans les cinq lois dites « structurelles » de l’Etat plurinational que sont la loi de l’Organe Electoral Plurinational (loi 18 du 6 juin 2010), la loi de l’Organe Judiciaire (loi 25 du 24 juin 2010), la loi de Régime Electoral (loi 26 du 30 juin 2010), la loi du Tribunal Constitutionnel (loi 27 du 6 juillet 2010) et la loi Cadre des Autonomies et de Décentralisation (loi 31 du 19 juillet 2010).

À celles-ci s’ajoutent la loi de l’Education (loi 70 du 29 décembre 2010), la loi des Droits de la Terre-Mère (loi 71 du 21 décembre 2010) et la loi de Délimitation Juridictionnelle (loi 73 du 29 décembre 2010).

Photos : Laurent Lacroix

Organisations autochtones nationales

En Bolivie, il existe deux organisations autochtones à dimension nationale. Le Conseil National des Ayllus et des Markas du Qullasuyu (CONAMAQ) représente les peuples autochtones des Andes, la Confédération des Peuples Indigènes de Bolivie (CIDOB) ceux des Basses Terres.

Le CONAMAQ est créé en 1997 comme forme alternative d’organisation au syndicat paysan hégémonique dans le monde rural andin depuis les années 1950 sous l’impulsion de l’Etat. Son principal objectif consiste à reconstituer les entités territoriales d’origine précolombienne (ayllus, markas, suyus) condition préalable « pour la libre détermination politique et l’exercice garanti de droits collectifs des peuples autochtones ». Le CONAMAQ représente 16 nations autochtones (suyus). La direction nationale et l’autorité qui la coordonne, le Jiliri apu mallku, sont élues tous les deux ans par l’ensemble des autorités autochtones locales affiliées. En principe, ils ne peuvent être réélus.

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Les peuples autochtones affiliés au CONAMAQ / Los pueblos autóctonos afiliados al CONAMAQ.
Source : CONAMAQ / Fuente : CONAMAQ, 2004

La CIDOB est fondée en 1982 à l’issue de rencontres interethniques mettant en avant la marginalisation économique, politique et culturelle des peuples autochtones des Basses Terres et leur situation territoriale précaire. La CIDOB se donne pour mission la « défense des droits fondamentaux des peuples indigènes du pays ». La première des revendications de la CIDOB est l’obtention de territoires légaux pour les peuples autochtones. Par territoire, celle-ci entend une unité spatiale intégrale dans laquelle les populations autochtones contrôleraient l’ensemble des ressources naturelles, exerceraient leur autonomie politico-administrative et assumeraient leurs histoires et leurs cultures au sein de l’Etat national. La CIDOB représente trente-quatre peuples indigènes. Sa direction nationale, composée d’une présidence et de secrétariats, est élue tous les 4 ans par les représentant(e)s des organisations régionales affiliées.

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Organisations autochtones affiliées à la CIDOB / Organizaciones autóctonas afiliadas a la CIDOB
Source : CIDOB, Fuente : CIDOB, 2008
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Droit etA visionner

Territoire

Terre, territoire et ressources Terre, territoire et ressources | Laurent Lacroix - 18 avril 2011

Processus de territorialisation autochtone

Depuis le début des années 1990, les peuples autochtones de Bolivie sont parvenus à insérer le thème de la territorialité autochtone dans l’agenda politique national en organisant des marches revendicatives et en participant activement aux débats sur les politiques agraires.

À l’issue de la première marche de la CIDOB pour le « Territoire et la Dignité » (1990), l’Etat reconnaît neuf territoires par décrêt. En 1996, la loi de l’Institut National de Réforme Agraire prévoit la dotation de Terres Communautaires d’Origine (TCO) aux peuples autochtones. Cette mesure se traduit par un vaste mouvement de territorialisation ethnique. Environ 40 % du territoire national est sous régime de TCO ou en voie de l’être.

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Les Terres Communautaires d’Origine (TCO) en Bolivie/Las Tierras Comunitarias de Origen en Bolivia
Source/Fuente : INRA, 2006

Toutefois, les TCO ne répondent pas à la demande territoriale des peuples autochtones. Ces derniers ne bénéficient pas, comme ils le revendiquent, de droits exclusifs ou prioritaires sur ces espaces collectifs ni même de ressources décentralisées pour les administrer. Cette limitation favorise une superposition de droits qui génère de nombreux conflits entre les populations titulaires de TCO et divers concessionnaires (entreprises d’extraction, éleveurs, paysans) installés légalement ou illégalement dans les aires octroyées aux peuples autochtones.

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Superposition de droits et de concessions dans les TCO/Sobreposiciones de derechos y concesiones en TCO
Source/Fuente : Vice Ministère des Terres, 2009

En 2006, la loi de Reconduction Communautaire de la Réforme Agraire a permis d’accélérer les expropriations de terres illégalement acquises ou occupées. Celles-ci sont reversées en priorité aux « communautés indigènes, originaires et paysannes ».

Entre 2006 et 2008, les peuples autochtones participent activement à l’Assemblée Constituante. Grâce à une alliance politique avec le parti d’Evo Morales et plusieurs organisations sociales, ils parviennent à instaurer dans la nouvelle Constitution le principe d’autonomie territoriale pour les peuples autochtones dénommé « autonomie indigène ».

Cadre constitutionnel et légal des « autonomies indigènes »

La Constitution bolivienne (2009) reconnaît les « territoires ancestraux » des peuples autochtones et les considère comme des entités territoriales inscrites dans la nouvelle organisation politico-administrative du pays. Au même titre que les autres types d’entités territoriales, elles constituent des juridictions à part entière, assument des compétences (similaires à celles des municipalités) et jouissent d’un régime spécifique d’autonomie indigène originaire paysanne qui peut s’appliquer au niveau municipal, régional et des TCO.

Ce régime et ses modalités d’attribution sont définis par la Loi Cadre des Autonomies et de Décentralisation (2010). Les entités territoriales autochtones doivent élaborer un « statut autonomique » qui devra être approuvé par référendum et par les 2/3 des votes de la population locale. Ces statuts doivent considérer les minorités non-autochtones en leur garantissant les droits établis par la Constitution. Des gouvernements autochtones pourront alors se constituer et exercer leurs pouvoirs de législation, délibération, réglementation et assumer les compétences qui leur sont attribuées. À ce jour, onze municipalités et quelques TCO ont engagé une procédure pour adopter un régime d’autonomie indigène.

Ainsi établie, l’autonomie indigène répond à une demande territoriale des peuples autochtones. La Bolivie semble donc se diriger vers l’instauration d’entités territoriales autochtones autonomes intégrées à l’organisation politico-administrative du pays.

La question de la consultation et de la gestion des ressources naturelles

Malgré ces avancées historiques, le droit à la consultation préalable, libre et éclairée des peuples autochtones fait l’objet d’une controverse entre ces derniers et l’Etat bolivien. Bien que la Constitution déclare que l’exploitation des ressources naturelles est sujette à une consultation préalable de la population affectée devant se réaliser dans le respect des normes et des procédures locales, la planification de mégaprojets et de projets d’extraction pétrolière ou minière se poursuit sans consultation ni participation directe des peuples autochtones.

Les principales organisations ethniques relèvent la contradiction entre la politique développementiste du gouvernement de Morales et la rhétorique de ce dernier sur la scène internationale concernant la défense de la Terre-Mère et celle des droits autochtones. Elles demandent au gouvernement de Morales de respecter la Constitution, d’instaurer une pause dans la planification des mégaprojets et de garantir de manière systématique la consultation des peuples autochtones avant d’autoriser tout nouveau projet d’extraction des ressources naturelles sur leurs aires d’habitat.

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Terre, terA visionner

Culture

Langue, éducation et culture Langue, éducation et culture | Laurent Lacroix - 18 avril 2011

Reconnaissance constitutionnelle des langues autochtones

L’article 5 de la Constitution bolivienne de 2009 reconnaît, au même titre que le castillan, les langues des 36 peuples et nations autochtones reconnus par l’Etat. Celles-ci sont les suivantes : aymara, araona, baure, bésiro, canichana, cavineño, cayubaba, chácobo, chimán, ese ejja, guaraní, guarasu’we, guarayu, itonama, leco, machajuyai-kallawaya, machineri, maropa, mojeño- trinitario, mojeño-ignaciano, moré, mosetén, movima, pacawara, puquina, quechua, sirionó, tacana, tapiete, toromona, uru-chipaya, weenhayek, yaminawa, yuki, yuracaré, zamuco.

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Les groupes ethnolinguistiques de Bolivie/Los grupos etnolingüísticos de Bolivia
Source/Fuente : Ministère des Affaires Paysannes et des Peuples Indigènes Originaires (MACPIO), 2002Ministerio de Asuntos Campesinos y Pueblos Indígenas Originarios (MACPIO), 2002
Langues autochtones en Bolivie
Langues autochtones reconnues par la Constitution de 2009 Peuples autochtonesFamille linguistiqueNombre de personnes parlant la langue
Aymara Aymara Aru o Jaqi 2’001’947
Araona Araona Takana 158
Baure Baure Arawak 886
Bésiro Chiquitano langue indépendante 195’624
Canichana Canichana langue indépendante 404
Cavineño Cavineño Takana 1’683
Cayubaba Cayubaba langue indépendante 664
Chácobo Chácobo Pano 516
Chimán Chimán o Tsimane langue indépendante 8’615
Ese ejja Ese ejja Takana 732
Guaraní Guaraní Tupi-guaraní 125’159
Guarasu’we Guarasu’we Tupi-guaraní 13
Guarayu Guarayu/Guarayo Tupi-guaraní 11’953
Itonama Itonama langue indépendante 2’791
Leco Leco langue indépendante 4’186
Machajuyai-kallawaya Médecins andins langue rituelle  ?
Machineri Machineri Arawak 30
Maropa Maropa o Reyesano Takana 4’919
Mojeño- trinitario Mojeño Arawak 81’206
Moré Moré ou Itene Chapacura 64
Mosetén Mosetén – Tsimanes langue indépendante 1’588
Movima Movima langue indépendante 12’230
Pacawara Pacahuara Pano 46
Puquina Puquina Uru ?  ?
Quechua Quechua Quechua 2’530’985
Sirionó Sirionó Tupi-guaraní 268
Tacana Takana Takana 7’345
Tapieté Tapieté Tupi-guaraní 41
Toromona Toromona Takana ?  ?
Uru-chipaya Uru (Chipaya, Murato, Itu) Uru-chipayaUru-Murato 2’1344
Weenhayek Weenhayek Mataco-Mataguaya 1’934
Yaminawa Yaminahua Pano 93
Yuki Yuki Tupi-guaraní 208
Yuracaré Yuracaré langue indépendante 2’829
Zamuco Ayoreo Zamuco 1’403
Non spécifié 34’242

Elaboration propre selon l’Atlas Sociolingüístico de Pueblos Indígenas en América latina, 2009, AECID-PROEIB Andes, Unicef. http://www.proeibandes.org/atlas/

Selon cette même Constitution, l’éducation est unitaire, publique, universelle, démocratique, participative, communautaire, décolonisatrice et de qualité (art.17 & 78). Elle devient obligatoire jusqu’au baccalauréat (art. 81).

L’éducation intraculturelle, interculturelle et plurilingue, qui tend à se développer partout en Amérique andine, constitue l’un des 18 droits collectifs reconnus aux peuples autochtones en Bolivie (art.30). À l’avenir, les candidat(e)s à des postes de la fonction publique devront parler au moins deux langues officielles du pays (art.234).

La loi d’Education du 29/12/2010

Entre autres nombreuses innovations, la nouvelle loi de l’Education préconise l’apprentissage et l’usage de la langue maternelle au cours des premières années de scolarité. Au cours du cursus scolaire, deux langues officielles nationales et une langue étrangère doivent être enseignées (art.7). Pour les personnes autochtones, la langue maternelle peut constituer la première langue d’apprentissage scolaire. L’histoire, les cosmovisions et les savoirs des peuples autochtones seront intégrés dans le programme scolaire (art.6).

La loi prévoit la création d’un Institut des langues indigènes (art.88) et de Conseils Educatifs des Peuples Originaires (art.92). Le premier est chargé de créer des antennes locales financées par les entités territoriales locales pour la normalisation, la recherche et le développement des langues autochtones. Les seconds participeront à la formulation et à la gestion des politiques éducatives et veilleront à leur application locale.

C’est la première fois qu’une loi sur l’Education est élaborée sans l’intervention directe des organismes internationaux et avec l’ensemble des secteurs sociaux du pays dont les organisations autochtones. Ces dernières demandent l’application rapide de cette loi, en particulier la mise en place de structures et d’institutions locales qu’elles doivent gérer.

Universités indigènes

En avril 2009, trois universités indigènes sont inaugurées. Chacune d’entre elles accueille 160 étudiant(e)s par an et propose des formations professionnelles spécifiques à la région où elles sont établies (voir tableau ci-dessous). Ces formations s’effectuent principalement dans la langue autochtone locale, le castillan étant la seconde langue usitée pour l’enseignement.

Ces universités délivrent des diplômes de technicien professionnel (3,5 années d’études), de maîtrise (5 ans) et de magistère (7 ans).

Ces universités ont pour finalité de « transformer le caractère colonial de l’Etat et de l’Education supérieure par la formation de ressources humaines » locales et « d’articuler l’éducation supérieure avec les nécessités régionales de développement et la participation des communautés organisées dans la région » (décret suprême 29 664, 2/08/2008).

Aucune évaluation n’a encore été réalisée sur ce projet pilote qui a pu se réaliser grâce au soutien financier du Fonds de Développement pour les Peuples Autochtones (FDPI) à hauteur de 8 millions d’euros. Le Comité Exécutif des Universités Boliviennes (CEUB) ne reconnaît pas ces universités indigènes estimant qu’elles ne répondent pas aux critères d’autonomie stipulés dans la Constitution politique.

Les universités indigènes en Bolivie
Nom de l’UniversitéLocalisation(ville, dpt)Langue des cours dispensésFormation Générale (Tronc commun)
Tupac Katari Warisata(La Paz) Aymara Economie Sciences Sociales Histoire Environnement Sport Arts Agronomie altiplaniqueEtudes vétérinairesIndustrie alimentaireIndustrie textile
Casimiro Huanca Chimoré(Cochabamba) Quechua ""
Apiaguaiki Tüpa Macharetí(Chuquisaca, Chaco) Guaraní Castellano Bésiro Mojeño ""

Elaboration : Laurent Lacroix

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